vendredi 25 septembre 2009

burn out

Démarrer en moins de deux secondes au feu vert, coller au cul des voitures, dépasser les limites de vitesse et zigzaguer entre les voies, jamais sur celle de droite car réservée aux voitures garées à l'arrache en double-file, jamais non plus sur celle de gauche, réservée aux gens pressés qui dépassent encore plus les limites de vitesse : je commence à maîtriser la conduite en région parisienne. Chaque matin je dégringole la N7, plongée en apnée dans les tours au loin, virage à droite, klaxonnée car freine pour tourner (bordel). Chaque matin j'ai envie de continuer tout droit, de grimper sur le périph, de m'enfoncer dans les tours pour mieux les fuir. En continuant tout droit tout droit, peut-être que je finirai par rencontrer la mer.
Mais c'est quoi ce pays où t'as l'impression qu'il y a une contre-soirée dans le métro quand tu rentres à minuit un samedi soir et où même les trentenaires salariés qui ne sont plus étudiants depuis longtemps habitent dans un studio de 23 m² ?
Les mêmes bottines à talons bizarres claquent dans les escaliers, ça me donne envie d'en acheter mais bon... Trop de choses à voir, trop d'endroits où aller du coup je ne bouge pas. Je vais passer une annonce "nana ayant pour objectif principal d'oublier son taf obsédant et frustrant en se noyant éventuellement dans l'alcool cherche compagnie". Me revient l'image d'une camarade de classe traçant de son doigt des lettres inversées dans la buée qui se formait sur la vitre du bus en hiver de façon à ce que les mots "cherche ami" soient lisibles depuis l'extérieur. J'oublie l'idée : dans le métro il n'y a pas de buée et qui me lirait à part les rats...
Il faut que je me lance dans quelque chose, faut que je trouve quelque chose, n'importe quoi, un hobby (autre que celui consistant à buter des méchants avec un M16 dans un jeu vidéo), un club de sport, une amicale, une association, des maquettes, du tricot, du crochet, de la peinture sur coquille d'oeuf... un mec, chais pas, n'importe quoi ! Une collègue, critiquant une autre collègue militante syndicaliste et qui s'investit à fond dans son boulot disait d'elle qu'elle devait faire tout ça car "sa vie est vide". Eh bien moi j'assume : eh oui ma vie est vide, aussi vide que le vide entre le noyau de l'atome et les électrons tournant autour. Rahhh et voilà, c'est reparti : putain de boulot de merde !!!
Bon enfin vous l'aurez compris, j'ai besoin de me changer les idées là...



lundi 7 septembre 2009

Dans la jungle, terrible jungle, une biche est morte ce soir

Nouvelle humeur, nouvelle playlist.

Bon alors cette fois ça y est, la prof de physique est dans la place. Une journée plutôt "facile" avec seulement deux classes pénibles sur quatre. Demain ça va être pire avec les deux pires classes de cinquième qui sont "gratinées". Ils ont déjà réussi à faire pleurer ma collègue de SVT, nouvelle comme moi et que j'ai récupérée complètement démotivée, dégoûtée, frustrée et en larmes dans sa salle. Il faut dire qu'ils lui ont bousillé ses insectes et, par vengeance d'une punition, répandu du liquide vaisselle sur ses affaires posées sur son bureau. Charmants bambins dont je ferai la connaissance demain.
Aujourd'hui je n'ai fait que montrer crocs et griffes, fusillé du regard et agressé tout individu qui ouvrait la bouche sans demander la parole, mais je pense que j'aurais pu être plus efficace. Ainsi en tout je n'ai distribué que trois punitions et rempli cinq ou six carnets de correspondance. D'abord j'engueule, après je discute.

En mettant ma tenue de combat, toute de noire vêtue afin de décourager ceux qui voudraient salir mes vêtements en y jetant de l'encre, je ne pensais qu'à une chose "je vais les bouffer, je vais les bouffer, je vais les bouffer". L'enjeu est capital pour moi qui vais rester coincée ici un paquet d'années : si je n'arrive pas à instaurer le respect tout de suite c'est mort pendant longtemps. Aujourd'hui je n'ai pas encore commencé "le cours", je n'ai fait que les remettre gentiment dans le bain, et présenter les règles du "jeu". Aujourd'hui j'étais en forme, prête à me battre, prête à les interpeler dans le couloir, prête à hausser le ton, prête à crier. Aujourd'hui ça n'a pas dégénéré, mais aujourd'hui je n'avais pas les pires classes.
C'est une corde raide, tout peut basculer en un quart de seconde, le bordel n'est jamais bien loin : un imprévu, mon attention qui est relâchée une seconde et tout est foutu, la demi-heure passée à instaurer le calme fond comme neige au soleil et les élèves reprennent bien vite le dessus.
Ma salle de classe c'est mon territoire et il faut que je pisse dans les quatre coins pour le marquer. Et c'est épuisant.
Ici on ne fait pas du cours, on fait avant tout du dressage. Oups, j'entends d'ici les récriminations des bien-pensants (bouhhh elle compare les élèves à des animaux, bouhhhh !) et oui je l'assume : ce sont des animaux instinctifs, pour certains sans éducation et il faut arrêter de se voiler la face. Le politiquement correct je lui pisse à la raie (ça fait deux fois que je pisse dans ce blog, ça va finir par sentir mauvais). Oui il y a des gamins qui ont un contexte social très chargé, oui il y a des gamins qui n'ont pas de papiers et qui en fin de troisième ne trouvent pas d'apprentissage car aucun patron ne veut les prendre, oui il y a des gamins qui sont là uniquement pour foutre le bronx et qui, sortis du collège à seize ans, iront traîner dans la rue comme leurs grands frères l'ont fait avant eux, qui n'ont pas de cahier, qui perdent leur manuel au bout de deux jours, qui n'ont pas de feuille de papier, ni de règle, de colle, de stylo vert, et j'en passe.
A eux il faut juste leur faire croire qu'on a une plus grande capacité de nuisance qu'eux, qu'on est davantage susceptibles de leur pourir la vie qu'eux ne le pourront jamais.
Ma collègue, telle une biche blessée dans la savane risque de se faire dévorer en moins de deux si elle ne réagit pas tout de suite. Mon avantage par rapport à elle, pour l'instant, c'est que ma priorité n'est pas de faire mon petit cours sur l'intensité du courant dans un circuit avec dérivations, ma priorité c'est qu'ils la bouclent et que ça ne dégénère pas. Le plus dur c'est d'être assez impresionnant pour qu'ils n'aient pas envie d'essayer. Car s'ils essayent je suis foutue je ne saurai pas quoi faire. Mais ça ils ne doivent pas le sentir. Non non non. Je ne suis pas une biche je suis un rhinocéros, ma carapace est tellement épaisse que tout ce que tu peux faire ne m'atteint pas. Par contre, moi si je te file un coup de corne tu vas la sentir passer.
D'abord tu obéis, après on discute.

A propos du "tu", aujourd'hui j'ai beaucoup hésité, entre le vouvoyement et le tutoiement je n'ai pas été très claire, j'ai donné dans les deux bizarrement alors que l'an dernier je tutoyais tout le monde. Mais quand je m'adresse à eux je me sens plus à l'aise en les vouvoyant, ça déstabilise et crée une certaine distance. En revanche, par habitude lorsque j'engueule j'ai tendance à tutoyer. C'est plus rapide de dire "donne-moi ton carnet" mais plus commode de dire "mademoiselle, au fond, vous avez une remarque à faire ?". Entre les deux mon coeur balance. J'aimerais bien tenter de les vouvoyer, ça peut être marrant. "Donnez-moi votre carnet de correspondance Mehdi" "Bon, Grady, pour la prochaine fois vous me recopierez cette feuille - Non, pas vous et votre voisin, juste vous... Rahhh mais t'es bouché ou quoi, bordel, tu m'recopies c'te feuille quoi ! (eh meeerde j'l'ai tutoyé) "

J'espère aussi qu'ils ne traîneront pas trop par chez moi et qu'il ne sauront jamais où j'habite "Wesh les mecs, regardez y a les p'tites culottes de la prof de physique qui sèchent sur son balcon, truc de ouf !". En tous cas, gamins ingérables ou pas, demain la guerre est déclarée, l'adrénaline va couler dans mes veines parce qu'il ne faut pas oublier que ces monstres de cinquièmes je vais me les taper entre trois loooooongues années (pitié ne les faites pas redoubler) et que si je ne suis pas assez aggressive je vais amèrement le regretter. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir continuer à ce rythme-là. Demain, huit heures de combat c'est long.

En tous cas même si j'ai à subir un tsunami comme ma collègue, je crois que je ne pleurerai pas, car ils n'attendent que ça, mais que ça fera pousser mes griffes plus vite.