dimanche 24 août 2008

Tout et rien


Ça y est, j'ai fini par me résoudre à ranger tous mes cours, quoique ce terme est optimiste : il serait plus juste de dire que j'ai déplacé tous mes cours, d'un endroit à un autre, plus discret. En fait, j'ai simplement caché mon bordel...
Au départ j'avais vraiment l'intention de trier, de classer, et finalement je n'ai réussi à rien jeter. Au lieu de tout balancer aux vieux papiers, j'ai enfermé certains cahiers dans un carton sur lequel j'ai inscrit au crayon "Cahiers inutiles". Puis quand j'en ai eu marre de remettre les nombreuses feuilles volantes à leur place, j'ai tout ramassé, et empilé sur une étagère au fond d'un placard. Advienne que pourra.
Je parie que je n'aurai plus jamais besoin de tous ces "Cahiers inutiles" d'autant qu'ils contiennent de simples exercices et que je ne sais même pas où j'ai bien pu fourrer tous les énoncés correspondant. Ailleurs en tout cas.
Bientôt, je déménagerai. Dans à peu près un an, si on me valide mon stage, je serai probablement nommée en région parisienne. Ou ailleurs. Fini le bus, la maison des parents. Hier j'ai croisé S. à une terrasse de bar. Alors que je m'apprêtais à filer, il m'a lancé "c'est marrant, t'as toujours un bus à prendre". Lui qui a onze ou douze ans de plus que moi et son propre appart depuis longtemps est bien loin de tout ça, comme devoir être à la maison à l'heure des repas...
Avant d'atterrir sur cette terrasse, avant que le soleil réapparaisse, je me baladais en ville, une main brandissant le parapluie au-dessus de ma tête, l'autre serrant mon petit sac à main contre mon flanc gauche. J'attends un message qui ne vient pas. Et comme il ne vient pas, j'ai du temps à perdre avant de savoir où et quand je vais pouvoir le retrouver, l'autre là, l'ex. Instinctivement, je flâne du côté de la fac. J'ai parcouru ce chemin des centaines de fois, qu'il vente, qu'il neige, qu'il pleuve, en suant à grosses gouttes ou en grelottant de froid, en fumant une cigarette ou en mâchouillant un chewing-gum. Toujours à pieds alors que j'aurais pu prendre le tram, afin d'effectuer ma demi-heure de marche conseillée par jour. A une époque j'ai cru que ça m'aiderait à perdre du poids, ensuite je le faisais simplement par plaisir, ça me détendait et me réveillais. Et j'aimais passer devant l'école des Arts décoratifs, parce qu'il y a toujours des étudiants ultra lookés et que là-bas le pourcentage de beaux gosses était bien plus élevé qu'à la fac de physique.
En parlant d'artiste, un type chevelu et barbu me croise à vélo. J'affiche un sourire narquois à la vue de sa veste en velours côtelé verte, son chapeau, et son pantalon râpé. Peut-être l'a-t-il remarqué car trois minutes plus tard, il me dépasse cette fois, se retourne tout en pédalant et me lance un grand sourire, manquant de heurter des passants. Cette fois, je le snobe. Je n'ai pas de temps à perdre aujourd'hui, puisque je suis, aux dernières nouvelles, toujours supposée boire un verre. D'ailleurs cette situation m'exaspère, je sors mon portable toutes les cinq minutes du sac. Lorsqu'il est tout contre moi, je ne sais pas si c'est mon ventre qui gargouille ou le portable qui vibre.
Lui il s'en fout que j'attende. Pendant plus d'un an j'ai passé mon temps à l'attendre, à poireauter, à trépigner devant chez lui, j'ai même dû attendre dans une autre pièce qu'il emballe vite fait mon cadeau d'anniversaire.

Tout s'est précipité d'un coup. Quelques jours sont passés. Je sirote une sangria dans un bar branchouille, musique mexicaine ou chaispasquoi à fond, et je hurle pour me faire entendre de ma voisine d'en face. Quant à moi, je comprends un mot sur deux. J'aime mâchouiller les morceaux d'orange mais à cause de l'interdiction de fumer, je ne peux plus jeter les écorces dans un cendrier.

"
Je sais où je vais" comme dirait Arnaud Michniak. Et ça me coûte 143€ les cinq aller-retours. Comme j'en fais au moins deux par semaine, je n'ose même pas calculer combien il me restera de thunes à la fin du mois...
J'ai les pieds dans les starting blocks mais je regarde encore le sol, je compte les petits graviers par terre comme pour ne pas penser au départ de la course. Je connais la date, l'heure, je relève la poitrine et mes genoux ne touchent déjà plus la piste, tandis que je remplis encore mon verre de ce liquide rouge et poisseux. Pourtant, impossible de faire marche arrière. J'écoute des étudiants de mon âge parler de leur voyages au Mexique, en Afrique du Sud, à Berlin, en Espagne, en Italie, raconter leur séjour Erasmus et toutes leurs soirées folles, alors que je me demande s'il y aura de la craie dans les salles ou s'il faut que j'en achète.
Étudiante, on m'avait pourtant dit "profite".

vendredi 15 août 2008

Le dormeur

Lorsqu'on ne dort pas assez, on saisit à peine la moitié de ce qui nous arrive. Globalement, j'aime cet état de quasi somnambulisme, cette façon d'accepter que les heures, les jours filent à la vitesse grand V sans jamais essayer de se raccrocher à un quelconque indicateur de temps. Je ne suis même pas sûre de savoir quel jour on est, ni quelle date : je sais simplement qu'on est dans les environs de mi-août, et qu'il ne me reste plus beaucoup de temps pour profiter de mes vacances. Seul notre estomac nous indique quand nous nourrir, le "midi" est alors un concept dépassé.
Je sais qu'il me manque des heures de sommeil, que je ne suis bonne qu'à grossièrement éplucher quelques pommes
de terre, bonne qu'à passivement attendre que le temps passe.

Improviser, vivre au jour le jour sans se poser de questions... toute forme d'anticipation quelconque a été bannie de ma vie depuis ce dernier mois. C'est ainsi qu'hier j'ai organisé un barbecue pour 7 personnes chez mes parents, qui a duré jusque tard dans la nuit, et que ce matin à 11h j'étais confortablement assise dans un fauteuil de cinéma à attendre que le film Batman commence, aux côtés du fameux mec parfait déjà maqué. (Ca c'est bien moi de n
'aller au cinéma en tête à tête qu'avec des mecs non célibataires...) A cause de la fatigue, je ne lis pas tous les sous-titres, et je dois avouer que je n'ai pas tout suivi depuis le début... Mais sa présence, sa putain de présence qui remue encore et toujours le couteau dans la plaie me réconforte néanmoins.
Lorsqu'on croise deux personnes qu'il connaît, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils pourraient croire que je suis sa copine, et cette pensée me réjouis quelques secondes, avant que je redescende lour
dement sur terre. J'ai honte d'être aussi puérile, et de me raccrocher comme ça à de simples fantasmes. Pourtant, j'avais cru réussir à me raisonner. Ce jeune-homme n'est de toute façon entouré que de filles tellement il est adorable et doux, et il a fini par en choisir une et une seule dont il semble amoureux. Non. Il ne "semble" pas, il faut que je me dise qu'il est amoureux d'elle, même si je n'ai pas de preuves. Je perds mon temps à attendre là, en embuscade, le premier signe de faiblesse de sa part, les premières disputes qui ne se sont pourtant jamais produites. J'ai l'impression d'agir avec lui comme si c'était un animal apeuré que je voudrais domestiquer. D'abord l'approcher, de loin, puis l'habituer à ma présence jusqu'à ce qu'un jour il accepte de manger dans ma main. Viens par ici, gentiiiiil.
En sortant du cinéma, encore dans le film, il a brandi son parapluie et m'a lancé "tu veux que je te sauve la vie ?" "Non, ça ira merci". Je pense "Finalement, heureusement que je ne suis pas ta copine Bruce, sinon je ne donne pas cher de ma peau" (pour ceux qui ont vu le film).
Je ne donne pas cher de ma peau car je serais complètement dingue de lui, avant de me rendre compte qu'il est finalement très banal. Je choisis souvent comme ça. J'aime les extrêmes, je passe du tac au tac d
es bad boys aux sain(t)s irréprochables.

J'ai une préférence pour les doux rêveurs comme moi qui ne savent pas ce(lles) qu'ils veulent. Je m'attache trop souvent aux girouettes. Car avec eux, on sort d'une histoire comme d'un rêve : on ne distingue plus nos vagues mais belles intentions, fondées sur des "si", des faits accomplis tellement on en a eu des projets et des "un jour"... On a alors trop dormi ou pas assez, on se demande si tout ça a bien été réel, on a la gueule de bois, on saisit à peine la moitié
de ce qui nous arrive. Et après on est bons qu'à grossièrement éplucher quelques pommes de terre, bons qu'à passivement attendre que le temps passe... jusqu'aux prochains "un jour, on le fera".


vendredi 8 août 2008

Attente entre un trottoir et un bar


J'ai les fesses sur le trottoir, les pieds dans le caniveau, et mes mains soutiennent mon menton, les coudes vissés sur les genoux. Mon dos est voûté comme à son habitude, je n'ai jamais su me tenir droite. Je suis donc assise sur le trottoir devant la maison et j'attends. J'attends que les minutes s'égrainent, que cette longue après-midi d'été tire sur sa fin, qu'il se passe enfin quelque chose. Je me souviens qu'il y a de nombreuses années (je devais être à l'école primaire) j'étais exactement dans la même posture, comme ça sur le trottoir à attendre. Sûrement qu'à l'époque je n'aimais pas les "grandes vacances". J'avais envie d'être une jeune fille, j'avais envie qu'il se passe enfin quelque chose...dans ma vie.
Maintenant je me contente de regarder passer les voitures, je préfère ne plus penser à tout ça. Et j'attends toujours. Je ne sais pas quoi, et je commence à trouver ça un peu longuet. On dirait que j'attends que le prince charmant débarque à vélo, ce qui est totalement ridicule puisqu'en fait il s'est déjà pointé ici la veille à l'improviste. Mais il est bien vite reparti.

Je repense donc à la soirée dernière. J'avais rendez-vous vers 21h30 avec L. qui est arrivé avec son quart d'heure habituel de retard. Avec le temps j'ai appris à ne plus attendre fébrilement les retardataires. Je ne sais pourquoi, ça me met tant mal à l'aise d'attendre seule quelqu'un.
A l'époque, un peu plus timide, je n'osais pas entrer dans un bar et faire le tour des tables à la recherche de quelqu'un. Sûrement la peur de ne pas voir cette personne et d'être ridicule. Jusqu'il y a encore peu, je me démenais pour faire croire que je venais juste d'arriver alors que ça faisait dix minutes que j'étais sur place. Je me planquais derrière un arbre, ou au coin de la rue, il m'arrivait même de revenir sur mes pas, m'éloignant du lieu de rendez-vous pour mieux pouvoir guetter au loin la personne. Comme par hasard j'arrivais pile quelques secondes après elle. Je me revois parfaitement faire plusieurs aller-retour dans la même rue, comme pour recommencer encore et toujours mon entrée sur scène jusqu'à ce que j'aie enfin un public. Maintenant je suis lasse de trépigner, et je me pose simplement à la première table venue, l'air le plus désinvolte possible.

Sur le chemin qui menait de ma voiture au bar, mes toutes nouvelles Dc Martens bordeaux couinaient, les passants marchant devant moi pouvant ainsi s'écarter au son des "scouiiic scouiiic" qui accompagnaient ma marche énergique. La soirée était agréable, ni trop chaude ni trop fraîche, à l'image de la bière que je sirotais en terrasse en compagnie de mes amis. Tout à coup, des jeunes gens arrivent, un brun ténébreux s'assoit en face de moi, seule place qui restait en terrasse, avant de tourner sa chaise en direction de la table voisine. Je crois qu'il m'a souri. Son visage m'est familier, mais je n'arrive pas à savoir où je l'ai vu. Tandis que je continue à papoter avec mes amis, je le regarde, et au fur et à mesure, des accessoires et un contexte refont surface depuis les tréfonds de ma mémoire. Je distingue le jeune-homme avec un foulard autour du cou, une basse entre les mains, je perçois même un hublot dans le coin gauche du tableau que mes souvenirs reconstituent. Ça y est, j'y suis presque... Ne me manque plus que le nom de son groupe.
Son groupe....
À regarder autour de moi je constate soudain que tous les visages me sont familiers ici. Normal, tout le monde (sauf moi) fait partie d'un "groupe". Lui c'est le chanteur de Machintruc, et elle là-bas c'est la guitariste de Chosebidule. J'ai par conséquent quasiment l'impression d'être une loseuse, avec mon Bac+4 et mon boulot à vie : l'éternel complexe de "l'intello". Je sens presque quelque chose m'échapper, cette désagréable sensation, cette peur de ne plus faire partie du doux monde des nocturnes qui m'autorisait les fins de soirées déglinguées. Je crains avec le temps de devenir sérieuse et chiante. Une larme d'alcool de trop et mon humeur est à présent chagrine.

Me revoilà sur mon bout de trottoir, à contempler les graviers. Le ciel s'est assombri mais j'ai maintenant très envie de bouger, agir, me défouler sur quelque chose. Je promène mon regard aux alentours et aperçois des feuilles brunes de part et d'autre de mes fesses dodues nourries tous les jours à la glace à la vanille. Je me lève donc dans un ultime effort, et pars à la recherche d'un bon vieux balais.
Il est temps d'en finir avec toutes ces feuilles mortes.