vendredi 8 août 2008

Attente entre un trottoir et un bar


J'ai les fesses sur le trottoir, les pieds dans le caniveau, et mes mains soutiennent mon menton, les coudes vissés sur les genoux. Mon dos est voûté comme à son habitude, je n'ai jamais su me tenir droite. Je suis donc assise sur le trottoir devant la maison et j'attends. J'attends que les minutes s'égrainent, que cette longue après-midi d'été tire sur sa fin, qu'il se passe enfin quelque chose. Je me souviens qu'il y a de nombreuses années (je devais être à l'école primaire) j'étais exactement dans la même posture, comme ça sur le trottoir à attendre. Sûrement qu'à l'époque je n'aimais pas les "grandes vacances". J'avais envie d'être une jeune fille, j'avais envie qu'il se passe enfin quelque chose...dans ma vie.
Maintenant je me contente de regarder passer les voitures, je préfère ne plus penser à tout ça. Et j'attends toujours. Je ne sais pas quoi, et je commence à trouver ça un peu longuet. On dirait que j'attends que le prince charmant débarque à vélo, ce qui est totalement ridicule puisqu'en fait il s'est déjà pointé ici la veille à l'improviste. Mais il est bien vite reparti.

Je repense donc à la soirée dernière. J'avais rendez-vous vers 21h30 avec L. qui est arrivé avec son quart d'heure habituel de retard. Avec le temps j'ai appris à ne plus attendre fébrilement les retardataires. Je ne sais pourquoi, ça me met tant mal à l'aise d'attendre seule quelqu'un.
A l'époque, un peu plus timide, je n'osais pas entrer dans un bar et faire le tour des tables à la recherche de quelqu'un. Sûrement la peur de ne pas voir cette personne et d'être ridicule. Jusqu'il y a encore peu, je me démenais pour faire croire que je venais juste d'arriver alors que ça faisait dix minutes que j'étais sur place. Je me planquais derrière un arbre, ou au coin de la rue, il m'arrivait même de revenir sur mes pas, m'éloignant du lieu de rendez-vous pour mieux pouvoir guetter au loin la personne. Comme par hasard j'arrivais pile quelques secondes après elle. Je me revois parfaitement faire plusieurs aller-retour dans la même rue, comme pour recommencer encore et toujours mon entrée sur scène jusqu'à ce que j'aie enfin un public. Maintenant je suis lasse de trépigner, et je me pose simplement à la première table venue, l'air le plus désinvolte possible.

Sur le chemin qui menait de ma voiture au bar, mes toutes nouvelles Dc Martens bordeaux couinaient, les passants marchant devant moi pouvant ainsi s'écarter au son des "scouiiic scouiiic" qui accompagnaient ma marche énergique. La soirée était agréable, ni trop chaude ni trop fraîche, à l'image de la bière que je sirotais en terrasse en compagnie de mes amis. Tout à coup, des jeunes gens arrivent, un brun ténébreux s'assoit en face de moi, seule place qui restait en terrasse, avant de tourner sa chaise en direction de la table voisine. Je crois qu'il m'a souri. Son visage m'est familier, mais je n'arrive pas à savoir où je l'ai vu. Tandis que je continue à papoter avec mes amis, je le regarde, et au fur et à mesure, des accessoires et un contexte refont surface depuis les tréfonds de ma mémoire. Je distingue le jeune-homme avec un foulard autour du cou, une basse entre les mains, je perçois même un hublot dans le coin gauche du tableau que mes souvenirs reconstituent. Ça y est, j'y suis presque... Ne me manque plus que le nom de son groupe.
Son groupe....
À regarder autour de moi je constate soudain que tous les visages me sont familiers ici. Normal, tout le monde (sauf moi) fait partie d'un "groupe". Lui c'est le chanteur de Machintruc, et elle là-bas c'est la guitariste de Chosebidule. J'ai par conséquent quasiment l'impression d'être une loseuse, avec mon Bac+4 et mon boulot à vie : l'éternel complexe de "l'intello". Je sens presque quelque chose m'échapper, cette désagréable sensation, cette peur de ne plus faire partie du doux monde des nocturnes qui m'autorisait les fins de soirées déglinguées. Je crains avec le temps de devenir sérieuse et chiante. Une larme d'alcool de trop et mon humeur est à présent chagrine.

Me revoilà sur mon bout de trottoir, à contempler les graviers. Le ciel s'est assombri mais j'ai maintenant très envie de bouger, agir, me défouler sur quelque chose. Je promène mon regard aux alentours et aperçois des feuilles brunes de part et d'autre de mes fesses dodues nourries tous les jours à la glace à la vanille. Je me lève donc dans un ultime effort, et pars à la recherche d'un bon vieux balais.
Il est temps d'en finir avec toutes ces feuilles mortes.


1 commentaire:

postmodernism a dit…

excellent putain!!! hehe moi aussi je pouvais passer des h à 'refaire mon entrée en scène' jusqu'à ce que mon public arrive....et effectivement rien de pire que de 'chercher' qqn ou d'attendre qqn dans un bar....aujourd'hui encore j'ai du mal

et pour la ziq...le fait que t'en fais pas, je comprends completement! je ressentais exactement la même chose, et depuis que j'ai exercé mes 'talents' -ma nullité surtout- dans un groupe bah je me suis dit que, decidemment, n'importe quel crétin peut se foutre un instrument dans les mains, faire 2, 3 bruits et dire 'je fais de la musique'

c vraiment des conneries, ce qui vaut la peine, n'est pas là dedans, je te le garantis.