jeudi 31 juillet 2008

Scandales


En m'engageant sur la bretelle d'autoroute, je prends conscience que ça doit bien être la millième fois que je conduis cette voiture pour sortir en ville, aller dans un bar, voir des gens, boire des coups... Il est environ 20h45, le soleil couchant diffuse une lumière qui
m'aveugle dans le rétroviseur.
Comme d'habitude, à vouloir trouver une place de parking proche de mon lieu de rendez-vous, je finis par t
otalement me paumer dans le quartier, et me gare n'importe où, pour arriver avec une bonne vingtaine de minutes de retard. Qui a dit que le mieux était l'ennemi du bien ?

Je retrouve mon "amie Sciences-Po" que je vois traditionnellement deux-trois fois par an, pour les vacances de Noël et celles d'été. Je l'ai connue au lycée, et déjà à l'époque, son obsession pour les cancans et les ragots m'irritait. J'ai fini par m'y habituer, et même par me prendre au jeu, guettant ses yeux qui grandissent et pétillent, sa bouche qui s'entrouvre lorsque je fais mine de lui confier un "secret". Car évidemment, si on veut que quelque chose reste confidentiel , c'est la dernière personne à informer car il lui faut à peine quelques jours pour répandre une rumeur. Et c'est sans exagérer, étant donné que mademoiselle la pipelette connait des centaines de personnes et que ça fait des années qu'elle entreprend de tisser sa toile à travers la ville. Cette fille ne se nourrit que de potins, et elle est toujours affamée.
On rejoint son frère et ses amis dan
s un bar. Ils me félicitent, puis on commande un verre avant de se dénicher une table.
Le garçon à côté de moi est très bavard, j'écoute ce qu'il raconte d'une oreille distraite. Ni son frère ni ses amis ne prêtent vraiment attention à nous. Bien qu'ils soient à peine plus âgés que nous, je sens une espèce de condescendance envers nous dans leurs propos. Cette désagréable impression m'interpelle, car je sui
s très habituée à fréquenter des trentenaires. D'ailleurs à y réfléchir, à part mes amis de fac ou de lycée, tous les autres sont trentenaires. Je suis donc étonnée d'être mal à l'aise avec eux, alors qu'ils n'ont que trois ans de plus que moi.
Je m'ennuie. Ils ne font que parler de leurs pseudos conquêtes. Mon amie est aux aguets. Elle lance des "rooooooooh" et des "Ohlalalaaaaaaa". Avec une certaine déception, je me sens
soudain très éloignée d'elle et de tout son univers superficiel, et j'ai l'impression d'être plus vieille que je ne le suis.
Elle commence à lancer des rumeurs sur son frère. Elle le fait passer pour un véritable tombeur. Un de ses am
is enchaîne, il commence une histoire qui a l'air fort croustillante. Enfin, je tends l'oreille.
Il nous raconte donc comment une nuit ils ont organisé un cache-cache dans la faculté de physique (faisant partie de l'amicale, ils en possédaient les clefs). Il se promenait donc dans
les couloirs, à la recherche de son camarade, et eut l'idée de regarder dans l'amphithéâtre principal. Il nous fait comprendre qu'il a surpris son ami avec une fille. Amusée, je demande des détails. Après plusieurs sous-entendus, il avoue enfin qu'il avait vu...... tenez-vous bien.... la fille qui tenait le bras (!!) de son pote.
Incroyable. J'étais déjà en train de m'imaginer la nana à poil accroupie sur le bureau, éclairée par le rétroprojecteur, avec le pendule de Foucault* dans le cul, mais je suis sûrement un peu trop tordue.

En tout cas, je ne les comprends pas. Quelque chose doit m'échapper... Toute la soirée continuera ainsi. Des scandales fondés sur des regards, des paroles. Je réalise enfin que depuis des années, cette fille se fout de ma gueule. Elle qui me racontait qu'elle "sortait' avec plein de mecs, devait en fait à peine leur avoir effleuré la main à une soirée. Je suis choquée, et me sens de moins en moins à ma place. Je regarde mon "amie" et c'est la première fois que je visualise mentalement ces guillemets. Leur discours me fait penser à des couvertures de Voici ou de Paris Match : "Scandale ! Une terrible épreuve ! Drame ! Des morts ! " pour des clopinettes.

Pour une fois ces gens boivent beaucoup plus que moi, ils en sont à leur troisième pinte lorsque je finis à peine mon demi. Ce soir, j'ai décidé par fierté d'être plus raisonnable qu'eux. Quelque part, leur normalité me fait peur. Pour eux, c'est la débauche totale que de boire des coups dans un bar. Je ne sais pas si j'ai envie de rire ou de pleurer. Alors qu'ils fantasment au sujet de leur quatrième scandale bidon, j'ai envie de hurler, de leur cracher qu'il y a deux ans j'ai accompagné des types chez un dealeur afin de chercher la coke qui ferait passer la descente de LSD de mon mec. De leur crier qu'il y a des choses plus graves dans la vie qu'une nana saoule qui caresse le visage de leur pote. J'ai envie de leur raconter qu'un type de cinquante ans et pété de thunes m'a clairement fait des avances dans un café, et que j'étais à l'époque tellement mal que j'ai hésité.
Au lieu de tout ça, j'ai sagement fini mon demi, et je me suis barrée. Il n'était même pas minuit.


Je sais ce qu'ils se sont dit : ell
e c'est vraiment une gentille petite fille modèle : troooop naaaaze !


*Le pendule de Foucault, c'est simplement un énorme pendule (c'est-à-dire un objet (généralement en forme de boule un peu allongée) assez lourd suspendu à un long fil costaud). L'expérience consiste à faire osciller le pendule assez longtemps pour constater au bout de quelques heures qu'il n'oscille plus dans le même plan (sa trajectoire tourne, il ne suit pas une seule ligne sur le sol) . C'est une conséquence de la rotation de la Terre sur elle-même.
Dans notre fac on en trouve un qui est suspendu juste sous le toit, le câble pend dans la cage d'escalier, et il oscille au niveau du sous-sol, t'imagines la bestiole ! Ça doit donc faire sacrément mal au fondement...




5 commentaires:

postmodernism a dit…

'le pendule de foucault dans le cul'
putain j'ai vraiment eclatée de rire, mais je m'attendais à ça aussi!

c une belles bandes de peigne culs à ce que je constate, tu as bien fait de te tirer!

julie ultimate

Monday Morning a dit…

Des peigne culs... Je cherchais le terme adéquat !

Anonyme a dit…

Je voudrais bien savoir c'est quoi, le pendule de foucault... ayez pitié d'une pauvre bac+3 en arts plastiques...

Anonyme a dit…

Merci pour ces précisions. Ca m'a en effet l'air de faire du bien par où que ça passe...

Les gens avec lesquels tu as passé cette soirée m'ont l'air de vrais purs crétins.

Monday Morning a dit…

Ça fait juste chier de s'apercevoir qu'on n'a plus rien à voir avec une fille avec qui on s'entendait bien au lycée... Mais c'est la vie, on a juste suivi des chemins totalement différents, ça doit arriver très souvent...