mardi 19 mai 2009

préoccupations

Hier j'ai raté mon arrêt de train.
En rentrant du boulot, remontant l'Alsace en train, j'ai quatre arrêts et je descends à Strasbourg. Mais pas hier. Hier j'ai juste vu passer l'arrêt Mulhouse, et après, plus rien. Le néant. Et pourtant je suis sûre que je n'ai pas dormi. J'étais juste déconnectée du réel. Lorsque je me suis à nouveau préoccupée de ce qui m'entourait, il était trop tard. J'ai juste réalisé que le train s'arrêtait à nouveau, et en regardant par la fenêtre j'ai vu marqué "Saverne". Le temps que je me rende compte que Saverne est au nord de Strasbourg, j'ai à peine eu le temps de rassembler mes affaires et de sauter du train.

Entre Mulhouse et Saverne je n'avais même pas remarqué que le train s'était arrêté, que des gens étaient montés ou descendus. J'ai essayé de me souvenir de quelque chose, d'une voix annonçant l'arrêt à Strasbourg, mais c'est le trou noir.
Alors j'ai dû prendre le train dans l'autre sens pour rentrer. Je sais que je suis du genre distraite et tête en l'air, mais d'ici à perdre conscience du monde qui m'entoure pendant une heure sans avoir souvenance de rien, ça ne m'était encore jamais arrivé.

Dans le train redescendant un bout de l'Alsace pour me ramener à bon port, j'ai cherché ce qui a pu me distraire à ce point. Fatigue, énervement, stress, et surtout la découverte toute à l'heure d'un mot d'insultes anonyme et bourré de fautes (même mon nom était mal orthographié...) de la part d'un cinquième qui apparemment me déteste. Sur le coup, j'ai ressenti une honte qui a fait que je n'ai pas parlé de ce mot à la prof principale de cette classe bien qu'elle m'ait ramenée à la gare en voiture à la fin des cours. Partagée entre mon devoir et la gêne, je n'ai rien dit et évidemment je le regrette maintenant. Il aurait fallu réagir tout de suite.

Je sais que ça fait partie des risques du métier, et inévitablement certains élèves nous haïssent, car quelque part c'est dans notre rôle d'être durs et exigeants avec eux. Quelqu'un me disait à juste titre "C'est un métier qui rend très dur. Car si tu n'es pas dur tu te fais bouffer".
Cependant, ces insultes ne m'ont pas fait de peine, car je ne suis pas idéaliste, et ça m'est bien égal d'être haïe ou aimée à partir du moment où j'ai ma conscience pour moi, et que je considère que j'ai à peu près fait mon boulot, c'est-à-dire leur enfoncer quelques maigres connaissances de base dans le crâne.
De toute façon, un prof qui dit que pour lui tout va bien et qu'il n'a jamais d'emmerdes ni de bruit dans sa classe est un menteur. L'autre jour devant le CDI j'ai été témoin d'une scène cruelle : le documentaliste, bonne pâte de service qui se faisait chahuter par des petits qui le traitaient comme un chien et se foutaient ouvertement de sa gueule sans qu'il ne s'en rende compte, ce qui les amusaient beaucoup. Ils ne lui montraient aucun respect. Et le documentaliste y allait de ses "chuuut chuuut allez ça suffit", me souriant avec un air gêné lorsque je passai devant lui et le troupeau d'élèves. Ce même documentaliste me confiait la veille "les gamins m'adorent !" Maintenant je sais qu'il essayait juste de s'en persuader.

Dans ce métier, il y a toujours un prof qui essaye de cacher ses problèmes, mais un jour tout finit par déborder : les hurlements venant de sa salle débordent jusque dans le couloir, les avions en papier et les emballages de bonbons débordent de sa poubelle...
Personne n'en parle mais tout le monde le sait, et regarde la victime en coin avec un air désolé, mais aussi avec une pointe d'orgueil car nous on s'en sort et pas lui. On est bien content de ne pas être le prof chahuté de service qui se traîne sa réputation sur plusieurs générations d'élèves. Alors on ne fait rien pour sortir le collègue de là, on préfère l'envoyer lâchement en pâture aux élèves. Un jour il bloquera les toilettes de la salle des profs où il se sera enfermé pour pleurer pendant la récréation.

J'espère de tout cœur que ça ne sera pas moi. En attendant je visite l'Alsace en train....

mardi 5 mai 2009

se servir de cobaye

Je suis arrivée devant le bar avec 40mn de retard. Je savais que ça allait finir comme ça à la minute où je suis entrée dans ma salle de bain pour me changer. J'étais alors comme engourdie. J'avais passé une bonne partie de la journée devant un écran, à conduire des voitures et à tirer sur des gens. Je n'avais pas vu le temps filer. Aucune idée de rien, ni de la température dehors, ni du temps, ni de la façon avec laquelle je voulais m'habiller. C'est avec une sorte de désespoir que j'ai saisi un pull rayé à capuche dans l'armoire, que je l'ai enfilé sur un autre pull noir, puis finalement sur un T-shirt blanc, puis finalement encore sur un autre pull noir, et enfin sur un T-shirt noir. J'étais alors presque à bout de nerfs. Mes cheveux n'étaient pas très propres mais il était trop tard pour y remédier. Et les minutes passaient et j'étais presque paralysée. Mes mouvements étaient inutiles, comme dans un cauchemar. On aurait dit que je faisais tout pour arriver en retard. Sur le chemin, j'ai voulu faire la maligne et je me suis égarée en voiture, j'ai tourné presque quinze minutes avant de trouver une place à plus de dix minutes à pieds du bar.
Presque au bord des larmes, je me suis dépêchée, j'ai marché le plus vite que mes jambes maladroites me le permettaient. Et bien sûr j'ai battu le record absolu de la nana en retard. J'étais tout à fait déconnectée du monde réel. Je ne me reconnaissais plus, j'avais l'impression de vivre ailleurs. Un sentiment de culpabilité m'a envahie. J'avais envie de pleurer.
Mais je crois inconsciemment j'avais envie que cela arrive. J'avais sûrement envie que quelqu'un m'attende, oui ça devait être ça. Comme je l'ai fait remarqué alors au cours de la conversation, j'ai l'impression d'être nulle part, de flotter entre deux eaux. Dans ma tête j'anticipe mon déménagement, ma modeste nouvelle vie, à tel point que je commence à me détacher de mon ancien mode de vie pour tendre vers celui que j'imagine avoir d'ici quelques mois. Et sur quoi est basé ce nouveau mode de vie me demanderez-vous ? Sur de la merde. Je crois que je rassemble tous les clichés que je connais sur les gens un peu décalés qui vivent seuls et que je les adopte les uns après les autres. Alors je me suis mise aux jeux vidéos, je traîne dans les rayons alcools des supermarchés pour regarder ce que je pourrais m'acheter, et je me complais dans un bordel ambiant. Parce que j'imagine que je vivrai ainsi. Peut-être car c'est le modèle que j'ai rapidement eu sous les yeux lorsque j'ai commencé à fréquenter des gens qui vivaient seuls. Je ne vais pas pouvoir m'empêcher de me détruire un peu. C'est sûr. Je vais sûrement me remettre à fumer pour de bon, acheter essentiellement des soupes et de la salade et manger des céréales bio. Mais comment puis-je savoir tout cela ? Est-ce ce que j'ai vraiment envie de devenir ? Comment est-ce possible de se demander comment on réagira, de ne pas se connaître à ce point ? Pourquoi est-ce que je passe tant de temps à me servir de cobaye ? Je crois que c'est trop tard pour être une gentille fille parfaite, comme mes sœurs, mais pourquoi forcément aller dans l'excès inverse ? Chercher la merde tout le temps, friser la catastrophe de justesse...
Toujours sur une corde raide, je peux tomber d'un côté comme de l'autre, entre les deux mon cœur balance. Et forcément avec le temps que je mets à me décider, je ne peux qu'arriver en retard.