dimanche 22 août 2010

Partir

Je viens de passer dix jours en Irlande. Dix jours au cours desquels j'ai d'abord été jalouse, frustrée, complexée, déprimée à cause de l'autre fille qui est partie avec moi et à côté de qui j'avais l'impression d'être un pot à tabac inintéressant. Comment lutter contre une fille bâtie comme un mannequin qui fait le paon devant tout ce qui porte une paire de testicules et qui monopolise l'attention de tous ? J'ai failli m'enfuir en courant dans les rues de Temple bar pour me perdre à jamais dans Dublin, loin d'elle. Fuguer comme une ado désirant regagner l'intérêt de ses parents.
Et finalement lorsque j'étais à deux doigts de craquer, mon ami F. m'a fait un clin d'œil, un sourire complice et j'ai tout de suite été apaisée comme par magie. Il est ma morphine et je l'aime pour ça. Nous avons donc passé la plupart du reste du séjour ensemble, avons conduit à gauche tour à tour pilote ou co-pilote, allant d'éclats de rire en fous rires, nous avons marché sous la pluie le long des côtes irlandaises puis crapahuté dans les falaises de la Chaussée des géants. A un moment il a coincé une pièce dans un des interstices des orgues basaltiques pour faire son vœu. Celui de pouvoir revenir un jour ici avec ses enfants et leur raconter qu'on y était en 2010. Au sommet de la falaise, me voyant me pencher, il m'a dit "Je n'imagine même pas pendant combien d'années je ne pourrais plus vivre si tu tombais là sous mes yeux". La plus émouvante déclaration d'amitié que l'on m'ait jamais faite... Ce que j'aime chez lui c'est qu'il n'a pas honte de dire qu'il est ému, il ne cherche pas systématiquement à tourner tout en dérision par peur de dévoiler ses sentiments comme moi. Il n'a pas peur d'être ridicule lorsque ce qu'il dit est simplement beau.
Aujourd'hui je regrette de ne pas lui avoir sauté dans les bras il y a huit ans lorsque nous étions au lycée et tous les deux célibataires. Je pense que j'aurais été heureuse avec lui, tout simplement. J'ai tellement confiance en lui que j'aurais fini par être bien dans ma peau, je n'aurais peut-être pas gâché toutes ces années et perdu tout ce temps à être complexée.
Maintenant une grande affection existe entre nous, je suppose qu'il me considère comme sa petite sœur même si notre relation me paraît parfois ambigüe : depuis des années nous avons vécu ensemble des moments forts et romantiques, des voyages, des couchers de soleil et des balades qu'il aurait très bien pu offrir à une de ses chéries. Nous avons aussi partagé la même chambre en vacances puis le même lit chez une amie, de nombreux repas et tout ceci toujours "en tout bien tout honneur" même si je prenais secrètement un plaisir fou à constater que nous étions en parfaite harmonie.
Aujourd'hui quand je nous vois nous comporter parfois comme un vieux couple je m'en veux tellement de ne pas avoir pris de risque...

A y réfléchir je n'ai jamais pris de risques et maintenant je le regrette également. Je sens terriblement le renfermé, il a fallu que je passe ces quelques jours à l'étranger pour prendre conscience que, malgré ce dont j'essaye me persuader, je ne suis pas "heureuse". Je n'avais plus envie de reprendre l'avion pour rentrer, je me suis dit "bon sang mais c'est ici que j'ai envie de vivre, ici les gens sont adorables, les paysages magnifiques, et j'ai tellement envie de me remettre un peu à l'anglais !" C'est bizarre mais aller me perdre toute seule en Irlande me semble maintenant plus facile que de rentrer à Paris. Alors en rentrant chez mes parents j'ai tout de suite regardé sur Internet comment faire pour me barrer à l'étranger mais évidemment c'est extrêmement compliqué et bien sûr ne parlons pas d'aller en Irlande, c'est quasiment impossible. J'ai donc pensé à d'autres stratégies toutes aussi farfelues, démissionner (une folie), me marier avec un irlandais pour me trouver un poste là-bas, me donner à fond comme une dingue pendant des années dans mon boulot pour me faire bien voir mais actuellement les mots "implication" et "travail" ne s'associent pas forcément dans mon esprit. Pourtant en ce moment je peux difficilement tomber plus bas dans ma "carrière", je commence à zéro, je suis encore jeune, c'est comme qui dirait maintenant ou jamais.
Là-bas j'ai enfin trouvé un peu d'air, je me suis sentie à l'aise, forte et indépendante. Ici j'étouffe, je ne suis pas épanouie et pourtant quand j'ai quitté F. et L. l'autre soir, mes compagnons d'Irlande et "amis" les plus précieux que j'ai ici et que je ne reverrai pas avant huit semaines, j'avais l'impression qu'on m'arrachait un bout de cœur, un morceau de ma chair. Ce que je n'arrive pas encore à savoir c'est si ce morceau est en train de pourrir dans les regrets et s'il est nécessaire de l'ôter pour enfin commencer quelque chose de beau et de sain.

Je n'en suis pas encore là. Peut-être les vacances prochaines oserai-je partir toute seule un mois ailleurs...