dimanche 22 novembre 2009

Déphasage de l'onde

"Madame, vous êtes mariée ?" Eh ben alors Walid, t'as de la merde dans les yeux ou quoi ? Tu vois pas que je n'ai aucune bague à aucun de mes dix doigts (si tu sais compter jusqu'à dix toutefois). Des cicatrices, certes (couteau à pain, verre cassé, cutter, et récemment lame de massicot), mais pas de bague. Et j'te dis tout de suite, c'est pas la peine d'essayer de me maquer avec le prof de techno car il est déjà pris, ni avec le (beau et ténébreux) prof d'Espagnol qui se barre à la fin du mois mais qui avait suscité l'enthousiasme des filles qui ont choisi Espagnol LV2 (et je les comprends). Quant au surveillant, il est bien sympa mais bon....
Oui, je sais, j'ai l'air fatiguée, merci Lyes, dis tout de suite que j'ai une sale gueule. Comment ça je suis tout le temps fatiguée ? Mettez vos tabourets sur les chaises, non, montez les tables, euhh sur les... Enfin bref quoi. Allez à vos places, non, en récréation ! Ouais ouais Boubacar, c'est pas la récréation, il est déjà midi... d'accord et alors ? Sortez, je vous ai assez vus. Prends pas cet air apitoyé toi là-bas, j'ai tout à fait le droit d'avoir la tête dans le cul un lundi midi.
Et vire-moi tes longues jambes de beau gosse de service sale jeune, laisse-moi passer, et n'essaye pas de me mettre la main au cul comme à la prof de bio sinon tu vas t'en prendre une tu vas rien comprendre. Allez rangez-vous bande de branques, on va entrer en cours.
Désolée Idriss je suis bordélique, j'ai pris ta fiche de suivi pour un papier brouillon, j'ai pas fait gaffe. Promis je fais une photocopie et je t'en rends une propre. Et au fait, désolée pour ton devoir à la maison qui est tombé dans l'évier, bon, c'est un peu gondolé mais ça reste lisible...C'est vraiment grave si j'ai oublié de distribuer les papiers pour la vaccination ? Et pour l'histoire du vol d'un petit flacon de soude, j'ai rien dit parce que je ne voulais pas qu'on m'accuse de négligence mais en même temps y a intérêt à ce que le petit malin jette ça fissa dans une poubelle, car si ça refait surface je suis dans une merde internationale... Comme la note de cahier que j'ai mise au hasard dans le bulletin car j'avais oublié de la relever sur mon carnet de note. En même temps, 17 c'est plausible, ça a l'air d'être une fille sérieuse, et si c'était moins elle n'ira pas râler au moins.
Ça y est, je viens de confirmer la rumeur odieuse selon laquelle certains profs notent "à la tête du client" je fais honte à toute la profession sur ce coup-là. C'était qu'une note m'sieur le juge, une toute petite note de cahier de rien du tout coefficient un-demi... Allez quoi, une note au pif sur 260 élèves, c'est pardonnable, ça fait 0,4% d'erreur à peine.

Non. C'est merdique. C'est n'importe quoi, c'est juste merdique.
Vendredi matin à 6h15 j'ai vraiment eu du mal à me lever. Une fois de plus je me suis demandée "et que se passerait-il si tout simplement je me recouchais ? Si je n'allais pas travailler ? Si je ne préparais pas mes cours ? Si je me levais à dix heures pour ensuite passer la journée devant mon écran d'ordinateur à fumer des clopes et à descendre la bouteille déjà bien entamée de Martini ?" C'est vrai ça, il se passerait quoi ? La Terre s'arrêterait-elle de tourner si je refusais de monter dans le wagon de mon train-train quotidien ? Les aiguilles des montres fileraient-elles à toute vitesse dans le sens "inverse" avant de se détacher du cadran ? Mon téléphone se jetterait-il à ma figure pour me rappeler à l'ordre ? Ou alors au contraire personne ne s'apercevrait de mon absence et lundi matin lorsque je me pointerai au collège on me dira "vous êtes prof de quoi ? C'est quoi la physique-chimie ? Non, c'est une matière qui n'est pas enseignée ici, vous devez vous tromper..." Et là j'ai senti que j'étais bonne pour retomber dans les bras de Morphée, pour une fois qu'il y a une autre paire de bras dans mon lit. (oui j'avoue, en ce moment je me contenterais même de bras mythologiques...) Donc j'ai essayé de ne pas trop réfléchir, et de m'extirper, moment le plus tragique de la journée, de mon lit.
Encore une journée à tenter de ne pas paraître trop déphasée.
A oublier ma montre chez moi, à remarquer des fautes dans mes présentations powerpoint ("-2 pour la prof !! - Ta gueule Kévin...") oublier de prendre un verre à la cantine, désespérément chercher mes clés de voiture partout avant de les découvrir dans ma poche de pantalon, à enfin rentrer chez moi, fermer la porte, redescendre voir si j'ai du courrier, remonter, redescendre vider la poubelle, remonter, redescendre chercher mes clés tombées à côté de la poubelle, remonter enfin. Et enfin accomplir mon rêve, me scotcher devant un écran, fumer et picoler en regardant Les chansons d'amour enfin accepter mon déphasage mais pas vraiment ma solitude. Un message sur mon répondeur, une voix déplorant le fait que je "n'entende pas mon téléphone". Comment pourrais-je l'entendre depuis mon nuage aux saveurs éthyliques ? Il fait froid dans mon appart mais je rajoute quand même des glaçons dans mon Martini. Enfin détendue, j'ouvre mon portable, je lis un message étrange de la part d'une collègue : "Je viens de passer devant un stand de casse-tête qui s'appelle Bozo Bozo mais en réalité c'est le déphasage de l'onde". A moitié endormie et anesthésiée, je ne comprends pas grand chose à ce message, je me dis que je ne suis pas la seule à picoler toute seule un vendredi soir. Un peu perplexe, je réponds néanmoins "eh ben t'as l'air de t'éclater toi" en me disant que peut-être j'en comprendrai le sens à tête reposée (mais on est dimanche soir et je ne comprends toujours pas). Le film me déprime un peu. Encore un film à Paris, maintenant ça me semble moins exotique mais bizarrement plus mystérieux. Pourquoi moi je ne croise pas de Louis Garrel dans la rue ? Bordel...
Encore une soirée bien avancée, j'étais censée bosser à fond aujourd'hui et j'ai passé le plus clair de mon temps à vérifier que mes légumes poussent bien dans la ferme virtuelle que je tiens sur facebook (j'ai un peu honte). Encore un week-end un peu gâché. Bon, la semaine prochaine il faut que je fasse un effort et que je me bouge de chez moi, que j'aille me déphaser ailleurs.


3 commentaires:

postmodernism a dit…

bon tu m'as vraiment fait marrer la, genial cette note!
ca me fait bcp penser a moi ces temps ci....faut que je t'envoie un mail tiens, ca fait longtemps
ultimate mark renton

Candy a dit…

Aaah la ferme virtuelle de Farmville !.. Je suis moi-même accro, et j'y passe autant de temps que je le faisais avant sur le blog. Même pas honte !

Courage sinon :-)

D. a dit…

C'est vrai que se lever le matin devient de plus en plus source d'interrogations mystico-philosophiques...