jeudi 6 août 2009

Des routes et des ponts

Dans une semaine j'emménagerai "définitivement" dans mon studio. Une semaine durant laquelle le "ici" se différencie du "chez moi", ce dernier correspondant pour l'instant encore au "là-bas". Mais bientôt "ici" sera devenu "là-bas"; mes amis quant à eux seront de toute façon dispersés un peu partout en France.
C'est étonnant comme en vieillissant les frontières s'agrandissent, comme la carte de notre territoire se dévoile au fur et à mesure comme dans un jeu vidéo de stratégie. On apprend à repérer le territoire de nos ennemis, on commence aussi à bâtir des murs de défense autour du nôtre pour le rendre inaccessible. Un des premiers souvenirs traumatisants de mon enfance date du jour où, outrepassant les frontières de mon jardin, je me suis aventurée dans la rue jusqu'à en passer le coin. Après quelques mètres de marche, ma maison hors de vue, je me suis aperçue que j'étais égarée. Prise de panique, j'ai cherché ma maison dans toutes les rues, au bord des larmes, oubliant que je n'avais fait que prendre la première à droite. En primaire, chevauchant mon vélo, j'ai dépassé la limite du quartier, poussant jusqu'aux villages voisins au collège. Au lycée, j'enchaînais avec la régularité des horaires de bus les allers-retours me conduisant à la grande ville qui, arrivée en fac, n'avait presque plus aucun secret pour moi ; ma petite fierté étant de pouvoir indiquer avec une précision honnête le chemin d'une bonne vingtaine de bars aux touristes égarés.
Au fur et à mesure, l'espace-temps s'est déformé, les distances se sont réduites avec le train. Une heure de train et on est déjà loin. C'est à cette même période les amis commencèrent à partir faire des études ailleurs. Pour moi cela signifiait quasiment couper les ponts.

Ces dernières semaines j'ai fait pas mal d'allers-retours en voiture, 500 km toute seule, des heures à voir le paysage défiler, à compter les vaches, à compter les barrières, à laisser les lignes blanches se brouiller, à ne plus voir le bout de la N4. De la campagne, des petites villes dont on est bien content de ne faire que les traverser, de la campagne, rien à des kilomètres à la ronde. La pause pipi à mi-parcours au Mac Do de Vitry-le-François est devenue le meilleur moment de la journée. Les vibrations de la voitures que l'on ressent encore dans son lit, et surtout l'odeur de la voiture sur les vêtements et dans les cheveux...
Entre deux aller-retours, voir des gens, des amis, un ex, avant de repartir. Toujours ses lunettes de soleil sur son visage blème, ses traits tirés, ses mains qui tremblent en saisissant sa tasse de café à 16h30. Pas de chance, je tombe encore un lendemain de beuverie : un malencontrueux hasard qui, pour un hasard, s'est répété bien souvent (je connais la musique). Malgré cela on s'entend toujours aussi bien, on plaisante, les répliques ironiques fusent de part et d'autre comme avant, enfin quelqu'un qui a du répondant. Mais c'est trop tard, dans ses yeux bleus je ne vois plus que la cirrhose et le cancer du poumon. Seulement voilà, on a passé un super moment à une terrasse, comme au bon vieux temps où toute notre relation ne reposait que sur des bons moments en terrasse, rien d'autre.
Après tout pourquoi se prendre la tête, pourquoi vouloir toujours faire table rase du passé, couper les ponts, oublier, laisser de côté ? Il n'existe pas de contrat stipulant que pour rester "ami" avec quelqu'un il faut le voir au moins quatre fois dans le mois... Ce n'est pas parce qu'on va vivre à quelques centaines de kilomètres qu'on devient seul au monde. Ca me paraît tellement évident maintenant que je me demande pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt. C'est donc ça, "communiquer"...

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