vendredi 11 avril 2008

Sur le trottoir

Je suis restée un moment dans la voiture. Phares éteints, moteur coupé, simplement à la regarder. Au bout d'un moment, je remets le contact pour pouvoir ouvrir la vitre à moitié, afin de mieux l'observer. Il faut dire que je suis assez loin d'elle, garée sur le terre-plein central du boulevard. Je l'épie alors qu'elle s'approche des voitures qui ralentissent en arrivant à sa hauteur. Certains s'arrêtent.
Alors elle se penche à la fenêtre qu'on ouvre côté passager, puis elle se recule pour laisser la voiture repartir.
Ce petit jeu a lieu deux ou trois fois en à peine dix minutes. Entre temps, un type qui marchait dans la rue s'est approchée d'elle alors qu'elle ramassait ostensiblement son opulente poitrine pour mieux la fourrer dans son soutien gorge distendu par la masse graisseuse qu'il doit supporter chaque soir.
Ils discutent. Je plisse les yeux pour tenter d'apercevoir son visage, mais il fait trop sombre.
Le type finit par passer son chemin, balançant le sachet qu'il tient à la main au rythme de sa marche, tentant d'afficher un air décontracté.
Une autre voiture s'arrête. Puis repart. On dirait que les affaires ne marchent pas fort ce soir.

Fatiguée, un peu éméchée et curieuse, j'ai presque envie de sortir de ma cachette pour aller lui parler. Fascinée par la dame. Puis je me dis que c'est absurde.
Je m'apprête à démarrer lorsque je vois que le type au sachet retourne discrètement sur ses pas. Il hésite. Il se retourne. Regarde autour de lui.
Finalement il se décide à faire demi-tour pour revenir lui causer. Ils discutent un moment, puis il sort de sa poche de l'argent, le lui donne. Après quelques hochements de tête, il lui indique une direction, et tous deux s'en vont côte à côte.

Un sentiment de satisfaction m'envahit. Aussitôt j'en éprouve de la honte. Satisfaite de quoi au juste ? Rassurée de constater que le monde tourne rond ? Les putes trouvent des clients, les jeunes se saoulent et les vieux regardent la télé. Les riches sont encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres : dormez sereins brave gens, la révolution n'est pas encore pour aujourd'hui ! Pour l'instant tout est normal, la vie suit son cours comme prévu, et ça fonctionne très bien ainsi depuis des siècles.

En passant à leur hauteur, je ne peux m'empêcher de ralentir pour voir son visage, croiser son regard. Elle est assez jolie, ses traits sont fins. Je crois percevoir une expression de lassitude dans ses yeux que je fixe dans mon rétroviseur. Mais ceci doit être simplement dû encore une fois aux automatismes de pensée nourris par les clichés habituels....

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