samedi 27 juin 2009

Filip_bis

La boucle est bouclée. L'année scolaire se termine par la journée portes ouvertes au collège. Je me balade un peu partout, assistant aux sketchs de théâtre qu'une partie de mes élèves de 5ème a préparé, admirant leurs travaux accrochés aux murs, tenant compagnie aux profs dont l'atelier n'attire personne. Jusqu'au clou du spectacle : la chorale. Entendre ces dizaines d'élèves que je ne reverrai jamais chanter en chœur ça me donne des frissons. "Uneeuh chauve-souriiis, elle met un parapluiiie..."
De plus, j'ai toujours eu un faible pour le piano. Alors voir le collègue de musique, stagiaire comme moi, pianoter et encourager ces enfants modèles à la voix haut-perchée c'en est trop, je sens les larmes me monter aux yeux. Je me dis que c'est la dernière fois avant (très) longtemps que j'enseignerai à des gamins aussi faciles, aussi polis, aussi charmants, des enfants qui à la fin de l'année ont tagué mon tableau de "Bonnes vacances madame, on espère vous avoir l'année prochaine !" "toute la classe vous aimes"
Je prends une part de gâteau et je me dirige vers la sortie, sans me retourner, très émue, pour prendre le train. Aller simple cette fois.
Avant d'atteindre le parking du collège, j'entends "... madame". Je me tourne, je dis "bonjour !" l'élève me répond "au revoir madame !". Je plisse les paupières, soleil dans les yeux, pour identifier le larron. C'est Filip. LE Filip.
Il s'avance vers moi d'une démarche chaloupée, bouteille de Coca à la main, sourire ravageur et insolent, le Filip des grands jours, le Filip ironique et provocateur qui, malgré des heures de colle, des exclusions, des dizaines de punitions et de passages par le bureau du principal adjoint, n'a jamais changé.
-"Alors vous partez, vous allez me manquer madame ! (je leur avais effectivement dit que je ne serai pas là l'an prochain)
-Oui, j'imagine Filip...
-Madame je rêvais de vous toutes les nuits !
-Mais je n'en doute pas, Filip... -sourire-
-Vous partez où ?
-En région parisienne, à Villejuif.
-Ouhla... C'est différent d'ici, madame !
-Je sais, Filip, je sais...
-Y a que des racailles et des délinquants là-bas !
-Hm.
-Villejuif c'est la merde madame ! Je sais, j'ai un cousin qui habite pas loin.
-Mouais, on verra. Merci pour tes encouragements Filip... Et sinon comment il faut faire pour survivre là-bas ?
-Pour survivre ? Hmm Aux élèves il faut leur montrer le droit chemin, mais il faut rester cool !
-Bon... On verra... Allez, j'y vais ! Bonne continuation Filip !
-Merci, à vous aussi madame."

Cette année Filip aura eu le premier et le dernier mot. C'est le premier prénom que j'ai retenu, le premier élève que j'ai puni, et c'est lui que je vois en dernier.
C'est le comble... A bientôt quinze ans mais déjà une sacrée dose de culot et de confiance en lui, Filip est le seul à avoir été sincère avec moi. La merde des quartiers, la violence, il la connait et sait de quoi il parle. Finalement je préfère son "c'est la merde" à tous les euphémismes et paraphrases qu'on me sort pour ne pas me faire peur ni me plomber le moral. Filip est un petit emmerdeur mais c'est un débrouillard et un beau parleur. Il n'est pas fragile comme tous ces mignons p'tits gosses de la campagne. Il s'en sortira, de façon plus ou moins honnête, mais je ne m'en fais pas pour lui.
A mon tour de m'endurcir.

2 commentaires:

Candy a dit…

Vraiment je le kiffe, ton Filip. J'avais déjà un faible pour lui à la première note...

D. a dit…

Villejuif...Tranquille...