mercredi 27 février 2008

"Bonsoir ! ..."
Un type louche que je croise m'adresse la parole lorsque je suis à sa hauteur. Le problème c'est que comme j'avance, et que lui aussi avance, la deuxième loi de Newton pouvant s'appliquer en supposant le référentiel terrestre galiléen (ce qui est une excellente approximation étant donnée la courte durée du phénomène) on peut estimer que lorsque mon cerveau reçoit l'information, nous nous sommes déjà dépassés.
Qu'est-ce qu'il me veut encore çui-là ?
T'as quelque chose à me proposer ? Non ? Ben alors casse-toi pauv' con.

Les volants des panneaux publicitaires mécaniques pivotent à intervalles réguliers, tous en même temps dans un couinement strident, répondant au vent qui s'engouffre dans les ruelles. Il commence vaguement à pleuvoir, pourtant il fait doux ce soir : je garde mon blouson ouvert. Tout comme les deux gros boutons en haut de mon pull. J'exhibe une tentative de décolleté bien minable : on fait ce qu'on peut avec les maigres moyens du bord.
Mon écharpe ondule au gré des rafales, s'enroulant puis se déroulant autour de mon cou selon l'orientation de la rue.
Je ne sais pas où je vais.
Ou plutôt, je sais déjà où je ne vais pas. Ce soir je ne prendrai pas le bus pour rentrer, d'ailleurs je n'ai même pas de ticket.
Perdue dans mes pensées, j'erre au cœur de la ville quasi déserte, normal pour un mardi soir. Par habitude, j'ai toutefois toujours l'impression d'être le week-end quand j'arpente les bars, et c'est régulièrement que je m'étonne de l'absence d'animation le soir.
Maintenant je sors en semaine.
J'ai de plus en plus l'impression d'être laissée à l'abandon, alors qu'auparavant le fait de ne pas avoir de contraintes me donnait une impression de liberté. Tu parles. Comment parler de liberté si on n'a pas d'obligations ? Impossible de comparer. Il n'y a personne de plus heureux que le travailleur un vendredi soir lorsqu'il va se détendre dans un bar avec ses amis après une semaine entière de dur labeur. Le type qui de toute façon traine ses savates en semaine parce qu'il n'a rien d'autre à faire en profite beaucoup moins. On marche par contraste, c'est bien connu.

Je croise des personnes qui rentrent probablement chez elles. Comme souvent, je leur imagine une vie, puis, comme souvent, par glissement, je fantasme sur ma propre vie. Je me représente avec un boulot, dans une autre ville avec un appartement bien douillet. Je me vois rentrer et déposer un baiser sur la joue d'un homme qui m'attendait.

Traversant un pont, je m'attarde au milieu, accoudée à mon habitude à la rambarde, pensive et le regard dans le vague. Le vent soulève l'eau noire qui clapote contre la rive, en éclaboussant les bords.
J'allume une dernière cigarette.




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